L’épisode de la pandémie de covid 19 est en train de faire la démonstration que la science peut jouer un rôle central dans la décision publique.
Dans une crise sanitaire en effet, les citoyens et leurs représentants au pouvoir ont besoin de s’informer et de comprendre. Donc d’acquérir des connaissances et de faire une analyse de ce qui leur arrive. On ne s’improvise pas infectiologue, virologue ou médecin, et il faut bien recourir aux connaissances des spécialistes. C’est ce qu’a fait le Gouvernement qui s’est entouré d’un Comité scientifique constitué de chercheurs et experts du sujet. C’est ce que font les médias chargés d’informer la population. C’est ce que font enfin les citoyens eux-mêmes en se jetant sur les sites, les réseaux, les blogs, voire les articles scientifiques.
La science, subitement sous les projecteurs, se trouve dès lors sollicitée et mise en partage, exposée, avec diverses difficultés inhérentes à cette situation. Le Covid 19 met en évidence au moins quatre séries de difficultés.
La première est liée à la simultanéité : le covid 19 est un nouveau venu dans la famille des coronavirus. Les scientifiques, qui ne le connaissent pas bien, doivent commencer par acquérir les connaissances et l’étudier alors que, simultanément, la société leur demande d’expliquer et le gouvernement de prescrire.
La seconde difficulté, la fluctuation, en découle : la connaissance sur le coronavirus étant en train de s’élaborer, la parole publique des scientifiques est nécessairement amenée à évoluer : il se peut donc qu’une chose soit tenue pour vraie un jour et se révéler fausse le lendemain (risque d’erreur de type 1) : ainsi est-il mis en doute tout dernièrement que les jeunes enfants soient transmetteurs du virus. Il se peut aussi que l’on tienne une idée pour fausse, alors qu’elle pourrait se révéler vraie (risque d’erreur de type 2) : par exemple : la chloroquine, qui après avoir été écartée comme traitement possible, revient sur le devant de la scène et fait aujourd’hui partie des médicaments testés en double aveugle. En conséquence, les éclairages et les décisions qui les suivent immédiatement sont susceptibles de fluctuer rapidement et parfois de façon contradictoire.
La troisième difficulté, liée à l’ouverture de la science, pose la question de la robustesse des informations. La science ouverte (archives et articles en libre accès sur le net) met à disposition de chaque chercheur l’essentiel de la connaissance produite sur ses champs de connaissance. Pour autant les publications en ligne suivent le rigoureux processus d’évaluation par les pairs. Dans le cas du covid 19, et pour avancer le plus vite possible, certains résultats sont mis en ligne avant d’avoir suivi toutes les étapes de validation par les pairs, ce qui peut nuire à la robustesse des connaissances scientifiques produites. Pour ceux et celles qui sont chargés de les communiquer au public (journalistes, femmes et hommes publics…), cette science ouverte en élaboration exige une vigilance et une déontologie sans faille, consistant plus que jamais à citer les sources, s’appuyer sur des faits précis, des chiffres environnés dans un contexte mouvant, incertain et complexe, qui les conduit à se corriger en permanence. Le public alors a du mal à fixer les informations et à se faire une vision commune. Ceci sans parler même des réseaux sociaux, où, toute l’information étant disponible, se distille une diversité de messages issus plus ou moins des connaissances scientifiques en devenir, partiellement vrais, pas tout à fait faux, totalement folkloriques, qui interprétés, qui amplifiés, quand ils ne sont pas sciemment déformés ou manipulés par les marchands de doute et les théoriciens du complot. Tout ceci peut toutefois lourdement décrédibiliser la parole des experts et des scientifiques auprès des citoyens.
La quatrième difficulté dépend de la pluridisciplinarité de la science. “La” science comprend pour résumer les sciences exactes, les sciences de la vie et de l’environnement, les sciences humaines et sociales fragmentées en un très nombre de disciplines . Chaque discipline étudie un certain nombre de phénomènes et seulement ceux-là avec des angles, des approches des concepts et des outils différents. La disjonction reste la règle et l’interdisciplinarité encore l’exception. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, l’infectiologie, la virologie s’intéressent à la maladie , la médecine au malade, au diagnostic et au remède à apporter pour le guérir. Là s’arrête leur mission. Mais la crise sanitaire inclut le reste de la société, à savoir tous les bien portants, qui,tant qu’ils ne sont pas malades, ne relèvent pas de ces disciplines-là, mais sont le champ d’étude des sciences humaines et sociales comme l’anthropologie, la sociologie l’histoire, l’économie, la démographie, la psychologie, la philosophie, … Le décideur a par tradition culturelle tendance à consulter essentiellement les spécialistes de la maladie et du soin – ce qui est une nécessité absolue – mais dans la mesure où il doit prendre et imposer des décisions pour toute une population bien portante et malade, il aurait tout avantage à inclure les autres disciplines dans la réflexion.
Ces quatre types de difficultés renvoient à la question finale : celle du positionnement du scientifique par rapport au politique et à la responsabilité de la décision. Dans une crise comme celle-ci où l’élaboration de la science et de la décision sont concomitantes au lieu d’être successives, le Conseil scientifique placé auprès du gouvernement (1), auquel il manque d’ailleurs les visions de quelques disciplines, se trouve en situation de faire plusieurs choses à la fois : analyser en temps réel les dernières connaissances mouvantes, proposer des éclairages et émettre des avis qui entraîneront une décision immédiate. Pour autant, les rôles doivent rester distincts entre le Conseil scientifique et le Gouvernement . Il doit être bien clair pour les citoyens que le rôle des scientifiques n’est pas, ne doit pas être de prendre les décisions à la place des pouvoirs publics. Le rôle des scientifiques est d’éclairer la décision, c’est-à-dire de donner les connaissances et les explications propres à la guider. Ainsi expliquer le mécanisme de propagation de l’épidémie et les conséquences d’un rassemblement est un éclairage, décréter le confinement de la population est une décision. Et cette décision reste de la responsabilité du politique . Il aurait pu en prendre une autre, mais quelle que soit celle à laquelle il s’arrête, éclairé par le scientifique, il la prend en connaissance de cause, et doit en assumer au final, l’entière responsabilité. .
Sylvane CASADEMONT, directrice de l’IHEST
(1) Le conseil scientifique est composé d’infectiologues, de virologues, de médecins, avec un sociologue, un ethnologue et un modélisateur. L’apport de disciplines comme la psychologie et les neurosciences, l’histoire (l’humanité n’en est pas à sa première pandémie), la démographie qui étudie la structure des populations, l’économie (alors qu’un choc économique est prévisible en fin de confinement) pourrait être utilement complémentaire.
A suivre : l’IHEST publiera chaque semaine des articles sur ces sujets, reprenant des analyses et conférences de chercheurs et experts mises en débat auprès de publics de décideurs de différentes CSP.
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