En cette période de crise sanitaire, ou la science et la décision sont au cœur des débats et de l’actualité, l’IHEST vous propose une chronique sur ces sujets, reprenant des analyses et conférences de chercheurs et experts mises en débat auprès de publics de décideurs ayant suivis nos formations.
L’expert a pris une place considérable dans les débats qui accompagnent la crise du Covid 19, au point de gommer les différences entre expertise, recherche et décision. L’expertise est assurément une porte d’entrée pour comprendre la relation entre la science et la politique.
Mais est sa définition, son rôle ? Quelles sont les cadres, les contraintes et les normes de cette activité ? Toute production de connaissances peut-elle être qualifiée d’expertise ? Comment le droit éclaire-t-il la relation entre la science et la politique et définit-il l’expertise ?
C’est ce que va nous expliquer le juriste Olivier Leclerc, directeur de recherche au CNRS, dans cette série de textes.
Dire que l’expertise est le vecteur principal par lequel la science entre en politique appelle plusieurs observations.
La première, c’est que l’expertise est notoirement diversifiée. Il est habituel de distinguer des types d’expertise, en fonction des contextes de décision dans lesquelles elle s’inscrit : judiciaire, public ou privé. Toutefois, envisager l’expertise de manière compartimentée ne permet pas de comprendre ce qui fait l’unité de cette notion.
Deuxièmement l’expertise n’est sans doute pas la seule porte d’entrée de la science en politique.
Elle n’est probablement pas la seule manière d’articuler science et décision. D’une part, les producteurs de savoir sont très nombreux. D’autre part, le terme « expert » est sans cesse employé pour désigner les spécialistes auxquels l’administration a recours, mais aussi des associations, des personnes individuelles, des scientifiques. Dans le vocabulaire de l’Union européenne, toutes les personnes qui interviennent dans les instances de conseil ou d’évaluation sont très volontiers qualifiées d’experts.
Il y a donc un usage très large, et peut-être même très lâche, du terme « expert ».
Force est de constater qu’on dit de plus en plus que le public, les citoyens, les parties prenantes, les profanes ou encore les lanceurs d’alertes sont experts.
Cela dit, la notion juridique d’expertise se voit associée à un régime juridique qui lui est propre. Un certain nombre de règles sont applicables aux experts : d’autres ne le sont pas. Autrement dit, les obligations et les prérogatives qui découlent du droit de l’expertise ne s’appliquent pas à toutes les personnes qui sont dites ou qui se disent elles-mêmes « experts ».
Pour avancer caractériser juridiquement l’expertise, il faut affronter au moins trois difficultés préalables. En premier lieu, il n’existe pas dans le droit positif de la République française de définition de l’expert. Par contre, il existe quantité de règles qui portent sur les experts.
En deuxième lieu, les acteurs des controverses scientifiques et techniques ne manquent pas de se dire eux-mêmes experts. Ce décalage est parfaitement banal. Se dire « expert », comme d’ailleurs se dire « le public », « la société civile » ou même « lanceur d’alerte », est l’objet d’appropriations stratégiques et symboliques.
En troisième lieu, il faut surmonter l’idée qu’un expert se caractériserait par sa compétence, c’est-à-dire qu’un expert est une personne compétente. Du point de vue juridique, toute production de connaissance, toute compétence ou toute formulation d’un avis, même éclairé, ne saurait être considérée comme une expertise, à telle enseigne que si un expert se révélait radicalement incompétent, cela ne le priverait en rien, du point de vue juridique, de la qualité d’expert. C’est en effet comme expert que sa responsabilité pourra être recherchée.
La compétence ne constitue pas donc pas un critère de qualification pour désigner l’expert.
(A suivre)