Editorial de voeux 2022

“… Nos concitoyens, à cet égard, étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit, ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit que c’est le fléau qui est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens n’étaient pas plus coupables que d’autres, ils oubliaient d’être modestes, voilà tout, et ils pensaient que tout était encore possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles…”. ¹

Que vient faire ce texte de La Peste, d’Albert Camus dans un éditorial censé vous souhaiter à toutes et à tous une excellente année 2022 ? Serais-je atteinte par le pessimisme ambiant ? Je ne crois pas. Simplement, à quoi sert-il de dénier la réalité ? Nous entrons dans la troisième année de la pandémie de covid, avec une cinquième flambée épidémique qui nous rappelle avec ténacité que les fléaux font partie de l’histoire des sociétés humaines… Nous voici donc à nouveau devant l’impérieuse obligation de continuer à affronter la réalité : la covid est une pandémie, et une pandémie dure plusieurs années… La technologie et les sciences sont de puissants alliés mais elles ne peuvent pas nous dépouiller de notre humanité. En tous cas pas encore et n’en déplaise aux transhumanistes, probablement jamais. Quelle leçon de modestie en effet !  

La modestie toutefois n’implique ni le pessimisme ni le défaitisme. Elle appelle plutôt la lucidité, que je définis comme la capacité à regarder la réalité en face, à regarder en l’air pour voir s’avancer la météorite² et à mobiliser ainsi les ressources pertinentes pour répondre correctement à la situation. Parmi ces ressources, la pensée humaine est puissante pour peu qu’elle s’affranchisse  des conventions, des jeux de rôle, des biais cognitifs et des commandes qui lui sont faites. 

La pensée toutefois ne suffit pas, elle doit préparer le passage à l’action, lequel implique de prendre les bonnes décisions. 

C’est précisément une des missions principales de l’IHEST : comment, très modestement,  contribuer par ses formations, ses séminaires de réflexion, son réseau, à éclairer les décisions qui enclenchent le passage à l’action ? 

Pour cela, le cycle de formation invite depuis sa création ses auditrices et auditeurs à s’interroger lucidement sur les relations entre les sociétés, les sciences et les technologies.  Depuis 3 ans, il se recentre sur la thématique des transitions, numérique et écologique, et sur la question de la prise de décision : comment les sciences et la démarche scientifique peuvent-elles aider les responsables à comprendre et agir au sein d’un système complexe dès lors que leurs décisions impactent l’ensemble des composantes et impliquent une lourde responsabilité ? 

L’institut vient en 2021 de certifier 36 auditeurs, scientifiques et non scientifiques, de la promotion Michel Serres ( 2020-2021) sur la compétence “ utiliser les sciences dans la prise de décision”.

Pour autant, la réflexion, la compétence, ne sont  que le premier acte du passage à l’action et les auditrices et auditeurs, une fois leur formation terminée, se posent aujourd’hui la question de leur engagement professionnel et personnel. Comment mettre en place des actions qui permettent de faciliter les transitions, de les mettre en œuvre ? Quel récit collectif les auditrices et auditeurs peuvent-ils écrire ensemble pour quels objectifs ? Tel se profile aujourd’hui l’enjeu du réseau des 650 auditrices et auditeurs de l’institut. Pour appuyer leurs initiatives, l’IHEST a lancé fin 2021 une plateforme : IHEST Connect qui leur permet d’échanger, de réseauter et de partager des projets. 

Par ailleurs, selon le second axe de sa stratégie, l’institut, sur la question des transitions, poursuit un travail sur mesure avec les territoires, soutenu par une convention avec la Caisse des dépots – Banque des Territoires  : une université territoriale s’est déroulée en mars 2021 en Bretagne sur la question du budget vert, et une autre est préparée avec la Région Occitanie, qui se jouera les 24 et 25 janvier 2022 et qui s’intitule : “Inventer le futur industriel de l’Occitanie”.  

L’année 2022 sera en outre pour l’IHEST une année de transition et d’action : 

Le cycle va évoluer en 2022, pour mieux intégrer à la formation proprement dite l’engagement citoyen qu’elle doit susciter et mieux communiquer avec ses commanditaires. La première université d’été à l’initiative du réseau des auditeurs sera inaugurée en août à Saint Etienne. De nombreux partenariats, noués en 2021 permettront de développer de nouvelles formes d’action, vers les universités, vers les entreprises et vers les élus. Enfin l’IHEST va continuer sa fructueuse coopération avec le réseau des IHE. 

Bref, lucidement, modestement, nous allons continuer à creuser notre sillon !

Je vous souhaite à toutes et tous et de tout coeur une belle année, quoique lucide et modeste, mais orientée vers l’action, riche en débats et en relations, avec des bonheurs privés qui se conjuguent au bien-être général !

Sylvane CASADEMONT, directrice de l’IHEST

1.  Albert CAMUS, La Peste
2. cf “ Don’t look up”,  le film qui fait le buzz sur Netflix en ce début d’année… 

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