Catherine Véglio, chargée de l’activité territoriale à l’IHEST, publie son deuxième roman Des vies sans refuge (Sérendip’Éditions) préfacé par Patrick Caron*. Un livre qui croise les questions alimentaire et migratoire.
Il était une fois demain un groupe de migrants pris au piège des machinations d’une multinationale de l’agroalimentaire, dans un monde dominé par l’Empire. À travers ce récit d’anticipation, Catherine Véglio explore les failles et les vulnérabilités de nos sociétés pour adresser quelques messages d’alerte.
« – Où en sont vos recherches, interroge Tian Lao, les expérimentations en cours donnent-elles de bons résultats sur la population masculine de migrants ?
– J’ai bon espoir de boucler dans les mois à venir, nous avons suffisamment de groupes tests dans le monde. Voyez-vous, cher monsieur, chacun d’entre nous peut apporter sa pierre pour résoudre des problèmes globaux »…
« De manière subtile, ce roman soulève la question de notre capacité et de notre volonté à dépasser l’état de procrastination dans lequel nous sommes… » écrit Patrick Caron* dans la préface.
* Géographe, chercheur au Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (Cirad), ancien Président du Groupe d’Experts de Haut Niveau du Comité des Nations Unies pour la Sécurité Alimentaire Mondiale.
En savoir plus : https://serendipeditions.fr/notre-catalogue/des-vies-sans-refuge
Interview de Catherine Veglio
Si vous deviez résumer l’intrigue de votre roman sans en divulguer la fin…
Catherine Véglio : L’intrigue se situe dans un monde futur bouleversé par l’accélération du réchauffement climatique, la crise alimentaire et dominé par une grande puissance autocratique, l’Empire, et ses entreprises. Elle met en scène le rôle politique de Food4Save Group. Cette multinationale de l’agro alimentaire contrôle et gère l’accueil et l’insertion de populations migrantes dans les pays où elle est implantée. Sous couvert d’un engagement environnemental et humanitaire, “nourrir le monde sainement et simplement”, l’une de ses filiales installée en Europe entraîne un groupe de migrants venus d’Afrique dans une expérimentation pilote qui cache un objectif inavouable…
Comment l’idée vous en est-elle venue ?
C.V. : Elle est née de questionnements inquiets sur la condition migrante qui fait partie de mon histoire familiale, comme c’est le cas pour de nombreux Français. Nous traversons, dans nos sociétés européennes, une profonde crise de l’accueil. Des migrants continuent de mourir aux frontières de l’Europe, faisant de la Méditerranée, notre mare nostrum, le plus grand cimetière de migrants au monde ! Qu’est-ce que cela dit de notre part d’humanité, de notre ouverture aux autres ? Comment traitera-t-on demain ceux qui fuiront des régions devenues hostiles à la vie humaine ? Ces interrogations sont liées au devenir de nos démocraties et de leurs valeurs. Les Babels de demain pourraient-elles ressembler à celle que je décris dans mon roman, une ville où le droit d’entrée est soumis à une autorité discrétionnaire ?
Pour caractériser votre roman, vous parlez de récit d’anticipation. Pourquoi ?
C.V. : Je parle d’anticipation car la forme narrative de cette fiction s’inscrit dans une veine prospective. Dans la préface, Patrick Caron évoque “une allégorie, celle du monde actuel qui se projette dans un avenir”. Créer de nouveaux imaginaires libère du réel, met à distance la référence au monde vécu. Dans une université territoriale récente de l’IHEST**, Pierre Giorgini, ancien recteur de l’Université Catholique de Lille, parle de notre présent comme étant un monde “en transition fulgurante”; nous sommes en peine, observe-t-il, de penser ce qui est en train d’advenir, de nous représenter le monde émergent. Les ressources de la fiction permettent d’explorer, en toute liberté, les champs des possibles, souhaitables ou non, mais aussi de mettre l’accent sur des questions qui traversent nos sociétés.
Vous êtes journaliste, collaboratrice de l’IHEST. Qu’est-ce que l’écriture romanesque apporte par rapport à l’approche journalistique et à la démarche scientifique pour traiter d’enjeux très actuels comme l’alimentation et les migrations ?
C.V. : L’écriture romanesque permet d’aller plus loin que ne l’autorise mon approche professionnelle, qui me conduit en effet à aborder des enjeux très actuels. Ceux-ci nourrissent mon imaginaire, tout comme le fait de côtoyer des scientifiques qui soulignent le besoin de changer rapidement de modèle de développement. La fiction, avec la liberté qu’elle offre pour redécrire la réalité, pour incarner des futurs redoutés ou espérés, est aussi une manière de faire passer quelques messages d’alerte. Que mangerons-nous demain dans un monde bouleversé par le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité ? Comment vivrons-nous ensemble, en humains ? Le conte a peut-être un rôle à jouer pour stimuler “la réinvention du collectif et du projet de société”. C’est ce que suggère Patrick Caron, en estimant – je le cite – que “la place et la responsabilité de la science se situent également là, et non pas uniquement pour façonner de nouvelles révolutions technologiques ou alerter sur l’état du monde”.
* Patrick Caron est géographe, chercheur au Cirad et ancien Président du Groupe d’Experts de Haut Niveau du Comité des Nations Unies pour la Sécurité Alimentaire Mondiale.
**”Industrie zéro carbone en 2050 – Un horizon atteignable pour la Métropole Rouen Normandie ? ”, décembre 2022.
Crédit photo : Studio Artinoa