Je suis frappée par un … faut-il dire débat ? qui montait sur les réseaux quelques années déjà avant la crise de la covid et qui s’est amplifié depuis. Il s’agit de remettre en doute le fait que la France serait toujours une démocratie, quand ce n’est pas d’affirmer sans ambages qu’elle est passée sous un régime dictatorial !
Ceci est exprimé par un certain nombre de jeunes, mais aussi par des adultes dont on aurait pu penser qu’ils fussent davantage au fait de ce qui différencie une dictature d’une démocratie.
Recourir aux chercheurs qui se penchent sur ces sujets est encore une fois infiniment précieux pour éviter de tomber dans le travers que dénonçait Camus et qui devient hélas, monnaie courante : “mal nommer les choses, c’est contribuer au malheur du monde”!
C’est ce que nous avons fait à l’IHEST, en nous interrogeant sur “ la démocratie à l’épreuve des crises”, lors d’une des dernières sessions du cycle “Affronter les transitions” actuellement en cours.
Un régime qui exclut la simplicité et la perfection
Invité à donner sa vision sur la question, Pierre-Henri Tavoillot (1) commence par une définition de la démocratie(2) présente dans nos Constitutions françaises : “le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple”.
Il souligne alors d’emblée le paradoxe du régime démocratique : “un peuple qui se met lui-même en situation de se gouverner”! Et d’insister sur son caractère déceptif par essence car “ nous ne serons jamais totalement libres, totalement égaux, totalement heureux ». D’ailleurs – c’est ici moi qui souligne, le totalement est aussi présent dans le terme totalitaire ! Raison pourquoi la démocratie n’est jamais parfaite et reste, comme le disait Churchill : “ le pire des régimes à l’exclusion de tous les autres”.
Un régime démocratique, continue le chercheur, est nécessairement complexe. “Si l’on cherche un régime simple, alors il faut choisir la dictature”, provoque-t-il.
Le gouvernement du peuple par et pour le peuple
De quoi et accessoirement de qui parle-t-on quand on parle de peuple, s’interroge le philosophe ? La notion de peuple, dans la définition des pères(3) de la démocratie libérale n’est pas une réalité sociologique, mais revêt trois aspects : le peuple-société, somme d’individus qui vivent ensemble ; le peuple-état qui partage une histoire, un projet et des règles du jeu ; et le peuple-opinion, relayé par les médias. A quel peuple nous référons-nous quand nous employons le terme ?
La démocratie devrait résulter de la façon dont ces trois peuples vont s’autoréguler. Or il faut bien admettre que chacun d’eux cherche plutôt à l’emporter sur –voire à museler– l’autre !
Intervient alors une quatrième notion, qui s’applique aussi au peuple : la dynamique de décision collective. Ce peuple-dynamique-de-décision est ce qui caractérise le pouvoir par le peuple (la démo/cratie). Il est constitué de quatre éléments qui doivent fonctionner ensemble :
- les élections ; 2. la délibération ; 3. les décisions ; 4. la reddition de comptes.
S’il manque un de ses éléments, alors on n’est plus en démocratie. Gouverner une démocratie, précise le philosophe, suppose de gagner les élections, d’avoir la patience de la délibération, de trancher et décider et de rendre des comptes.
Appliquer une démarche scientifique aux débats
L’exposé du chercheur nous rappelle qu’avant d’affirmer des choses du point de vue étroit de l’expérience et du vécu personnels, il faut remonter d’un étage, ce qui, en sciences humaines, veut dire d’abord définir ce dont on parle, clarifier les concepts qui sont des outils de lecture et d’analyse, et examiner les faits à la lueur de ces concepts, à l’aide de ces outils. On dégage alors une base de réflexion commune, et sachant de quoi l’on parle, on acquiert une meilleure compréhension des phénomènes, qui transcende les émotions, qui donne une vision élargie et différente, qui ouvre des perspectives à débat, à désaccords, certes, mais sur des bases communes autorisant une argumentation a minima acceptable par chacun des tenants de la controverse. Bref un exercice intellectuel qui ressort à la démarche scientifique.
La démocratie, conclut Pierre-Henri Tavoillot est le régime des adultes. Sa promesse est que tous les êtres humains grandissent et qu’ils peuvent grandir ensemble. C’est aussi la promesse de l’IHEST.
Sylvane CASADEMONT, directrice de l’IHEST
(1) Philosophe, Maître de conférences à l’Université de Paris
(2) du grec : démos peuple et cratos , pouvoir, gouvernement
(3) Jefferson, Siéyès, Tocqueville
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