Conçu en deux temps, ce séminaire est dédié aux questions que pose la construction d’une souveraineté en France et en Europe dans les domaines de la santé et du soin. Au travers de l’analyse du « continuum recherche, innovation, industrie » (volet 1) puis « de la transformation numérique » de l’ensemble du secteur (volet 2), les acteurs sont invités, à partir d’un diagnostic des points forts et des vulnérabilités, à dialoguer pour dégager les formes partenariales et les axes de transformation qui permettront de construire une souveraineté sanitaire en Europe.
Le premier volet de ce séminaire de réflexion collaborative a porté sur :
- Le diagnostic et l’analyse des forces et des vulnérabilités de la recherche en santé, l’interface public-privé et les partenariats industriels ;
- Les conditions de l’attractivité de l’écosystème de santé, en interrogeant notamment : le rôle de l’Etat et l’enjeu d’une vision prospective ; les questions de la valorisation et du financement, en particulier du capital-risque ; le défi du partage des données ;
- Le rôle de l’Europe pour bâtir une souveraineté sanitaire européenne.
REGARDS CROISÉS SUR LE CONTINUUM RECHERCHE, INNOVATION, INDUSTRIE
Recherche en santé, partenariats industriels et innovation : analyse des forces et vulnérabilités
S’il y a eu un sentiment unanimement partagé par les acteurs publics et privés participant au séminaire, c’est bien leur satisfaction à la suite de la présentation de la Stratégie innovation santé 2030 par le président Macron lors du CSIS (Conseil stratégique des industries de santé), le 29 juin. Les annonces sont « à un niveau rassurant » observe Gilles Bloch, président-directeur général de l’Inserm, « on va avoir des grands programmes sur les enjeux de santé, avec des choix stratégiques, des moyens et des financements permettant d’orienter le tissu de la recherche publique et d’avoir les cartes en main pour dialoguer avec les partenaires privés (…) et mieux aligner nos forces pour aller plus vite dans la compétition internationale ».
« Le CSIS est à ce stade très prometteur » note Claude Bertrand, porte-parole du G5 Santé pour la R&D, vice-président exécutif Recherche et Développement du Groupe Servier, qui considère que la définition d’une stratégie nationale est « la plus grosse avancée ».
Autre défi pour assurer la réussite du nouveau plan stratégique, l’anticipation. Il s’agit à la fois de mener « une politique de risque adaptée » en faisant des choix et de « voir loin » en étant « cohérent sur le long terme. » « Les succès récoltés aujourd’hui résultent de décisions prises il y a dix ans », d’où la nécessité d’« investir en contra-cyclique, en temps de paix pour récolter les fruits en temps de crise ». Une vision à long terme ne saurait reposer sur une fragmentation des orientations programmatiques des différentes parties prenantes.
C’est pourquoi, selon Thomas Lombès, directeur de la stratégie et de la prospective, Inserm, la future Agence de l’innovation en santé pourrait jouer ce rôle de « facilitatrice » à même de susciter une telle vision.
Soutenir le développement de la Healthtech
Franck Mouthon a évoqué la situation de cet écosystème « pionnier de la biotech qui peine aujourd’hui ». Les entreprises du secteur ont besoin de se professionnaliser en interne, a t-il expliqué, avec des talents, des ambitions comparables à leurs compétiteurs internationaux et des capacités d’exécution. La future mission confiée à Rafaèle Tordjman est bienvenue car elle vise à attirer en France des talents internationaux ayant « les standards industriels qui manquent dans nos entreprises au début ».
Le nombre de start-ups créées en France (une soixantaine par an dans les biotechs) est certes un point dont on peut se réjouir. Cependant, le cofondateur de la biotech Theranexus a mis en garde contre l’éparpillement des actifs. « Il n’y a aucune logique de consolidation dans cet écosystème. Il faut être le plus sélectif et le plus exigeant possible dans la start-up nation et ne pas faire une politique du chiffre qui, parfois, peut aboutir à des difficultés de financement de ces entreprises ».
Le diagnostic de l’économiste
Margaret Kyle, professeure d’économie au Centre d’économie industrielle (Cerna) et à Mines ParisTech, a analysé les raisons du retard français dans la course à l’innovation pharmaceutique et avancé des recommandations pour y remédier*.
Margaret Kyle recommande « la prudence » qui consiste à réserver les financements publics aux essais cliniques avec des normes élevées de preuve scientifique. Si elle procédait ainsi, la France pourrait devenir leader européen des essais cliniques car elle en a le potentiel.
Les améliorations doivent aussi s’inscrire dans la politique de recherche et de gouvernance du processus d’innovation. Ne faut-il pas repenser le système de protection des innovations ? Pour Margaret Kyle, introduire de la souplesse s’impose car la rigidité du brevet – notamment une durée fixe de 20 ans de protection, une uniformité sans différenciation selon la valeur de l’innovation – n’est pas toujours adaptée. Au niveau européen, il s’agirait ainsi de permettre l’élaboration de contrats dont la durée de l’exclusivité commerciale varie en fonction du degré d’innovation du médicament.
L’économiste invite également à repenser le système de fixation du prix, élément de régulation. Là encore, la flexibilité est la piste privilégiée.
La stratégie de l’État
Grégoire Postel-Vinay, chef de la mission Stratégie à la Direction générale des entreprises (DGE) au ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance et Antoine Jourdan, directeur de projets Santé à la DGE et coordinateur national de la stratégie biothérapie, ont évoqué les conditions à réunir pour bâtir une souveraineté sanitaire en France et en Europe.
Si l’enjeu de la souveraineté sanitaire est aujourd’hui au cœur du débat public, c’est d’abord parce qu’il relève d’une forte demande des Français, exacerbée par la crise sanitaire. Grégoire Postel-Vinay l’a souligné en rappelant que la santé était la seconde aspiration des Français (59%) et la première en temps de crise. Cela exprime « un besoin sociétal de maîtrise des solutions qui contribuent à la santé ». La souveraineté sanitaire que les Français appellent de leurs vœux réclame des moyens considérables sur le temps long.
Antoine Jourdan a conclu sur une note positive. La France n’a pas décroché du train des innovations et conserve l’opportunité de monter « dans les wagons de tête » dans des domaines tel les biothérapies, l’e-santé ou encore les dispositifs médicaux.
Les défis de la valorisation de la recherche et le capital-risque
Pascale Augé, présidente du directoire d’Inserm Transfert, filiale de l’Inserm dédiée à l’innovation, la valorisation et le financement de la recherche collaborative, situe l’action de cet organisme : Inserm Transfert couvre toute la chaîne de valeur de l’innovation avec le souci d’être aux meilleurs standards internationaux. Inserm Transfert s’est fortement engagé dans la mutualisation des efforts entre les partenaires de l’écosystème sur l’innovation, sur le sujet des start-ups. Il a ainsi créé un consortium, Human Health Startup Factory pour porter, avec plusieurs partenaires et des investisseurs, un pôle de compétitivité et un accélérateur (MD Start) dans le but de renforcer l’accompagnement des start-ups. Pascale Augé a souligné le caractère riche et dense de l’ écosystème français de la valorisation, « il faut en faire un atout et non un inconvénient ».
L’intervention d’Anne Osdoit, associée chez Sofinnova Partners, a confirmé qu’en France l’étape la plus complexe n’intervenait pas au moment de la création d’une start-up, mais après… Elle a tout d’abord précisé l’approche de Sofinnova et particulièrement du fonds d’accélération MD Start. La société de capital-risque identifie auprès des chercheurs et des cliniciens-inventeurs des concepts disruptifs et s’associe avec eux et leurs autorités de tutelle pour transférer les inventions dans des sociétés et les développer. Le fonds intervient de façon opérationnelle dans ces sociétés jusqu’à la preuve de concept en environnement clinique.
Partager les données de santé
Une autre question majeure se pose pour accélérer l’innovation en santé, l’accès aux données de santé pour la recherche. Le sujet est désormais clairement sur la table. En introduisant l’intervention de Stéphanie Combes, directrice du Health Data Hub (HDH), la plateforme des données de santé créée par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et la transformation du système de santé, Isabelle Giri a rappelé les propos du chef de l’Etat, le 29 juin, demandant que l’on aille « beaucoup plus vite » dans l’ouverture de ces données. Dans un environnement très concurrentiel, il faut « jouer le jeu du partage de la donnée » selon les termes présidentiels.
Le HDH, groupement d’intérêt public (GIP), succède à l’Institut national des données de santé avec une mission élargie, a précisé sa directrice. Il conserve un rôle d’accompagnement et de guichet unique pour les démarches réglementaires d’accès aux données et au-delà, il met à disposition de manière effective les données de santé pour les projets de recherche d’intérêt public dans une plateforme technologique à l’état de l’art. Le HDH est notamment co-responsable du traitement de la base de données de l’Assurance maladie. Il développe également un catalogue, autrement dit une collection de bases de données : cette copie de bases d’intérêt pour la recherche (par ex. des cohortes, des registres, des extractions d’entrepôts de données hospitalières, …) permet de mutualiser des ressources au profit des porteurs de projets.
Renforcer l’Europe de la santé
Une chose est certaine, la question des données de santé sera un des thèmes-clés portés par la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) qui se déroulera lors du premier semestre 2022, comme l’a rappelé Isabelle Zablit, directeur de projet Europe et International, à la Délégation au numérique en santé, ministère des Solidarités et de la Santé. Autre dossier en haut de l’agenda dans le domaine de la santé, les droits des patients et les soins transfrontaliers. Deux consultations publiques sont enclenchées pour préparer les travaux sur ces sujets qu’Isabelle Zablit qualifie de « socles très importants » pour faire avancer l’Europe sanitaire.
Aller plus loin :
Retrouver l’intégralité de la synthèse du séminaire « Construire une souveraineté sanitaire en France et en Europe : regards croisés sur le continuum recherche, innovation, industrie »
Repères bibliographiques
- Innovation santé 2030 – Faire de la France la 1re nation européenne innovante et souveraine en santé, Gouvernemant, 201 – Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), 29 juin 2021
- Faire de la France une économie de rupture technologique, Rapport aux ministre de l’Economie et des Finances et ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 7 février 2020
- Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? Margaret Kyle et Anne Perrot, Les notes du Conseil d’analyse économique (CAE), n°62, janvier 2021
- Rapport d’information sur l’innovation en santé, Annie Delmont-Koropoulis et Véronique Guillotin, 23 juin 2021, Sénat
- Rapport bi-académique Réformer la recherche en sciences biologiques et en santé : partie II, l’organisation, Académie nationale de médecine, Académie nationale de pharmacie, 23 mars 2021
- Rapport au Premier ministre, Mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels, Jacques Biot, 2020
- Panorama France Healthtech 2020, France Biotech
- Panorama de la santé 2019, OCDE
- Programme « L’UE pour la santé », Règlement (UE) 2021/522 du Parlement européen et du Conseil du 24 mars 2021 établissant un programme d’action de l’Union dans le domaine de la santé pour la période 2021-2027