En cette période de crise sanitaire, ou la science et la décision sont au cœur des débats et de l’actualité, l’IHEST vous propose une chronique sur ces sujets, reprenant des analyses et conférences de chercheurs et experts mises en débat auprès de publics de décideurs ayant suivis nos formations.
Dans cette intervention, Nicolas Tenzer, spécialiste des sciences politiques et fondateur du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique, auteur de Le Monde à l’horizon 2030 : la règle et le désordre (Perrin, 2011), analyse les principaux éléments d’une décision en situation d’incertitude : le choix, l’intention, l’expertise et la nécessaire diversité des experts qui la compose.
En matière de décision, il existe plusieurs règles.
Premièrement, décider, c’est choisir. C’est aussi, pour le dire plus violemment, tuer, soit décision suprême, quand on déclare une guerre et que l’on prend aussi le risque d’être tué, soit, symboliquement, en tuant les autres possibles et tout ce que l’on n’a pas décidé de faire. Dans ce sens, décider, c’est aussi prendre le risque de catastrophes. Prendre une décision économique dont on ne sait pas si elle est bonne, c’est risquer de plonger le pays – des gens, des familles et des personnes – dans une situation de très grand désespoir ou de détresse. Celui qui décide ne peut pas avoir de certitude puisqu’il est toujours devant un tel risque. Il peut parfois être accusé de tergiversation ou de procrastination, mais d’une certaine manière, in fine, la décision lui reviendra directement à la figure. Car ne pas décider, c’est décider quand même. De ce point de vue, il faut bien constater que la solitude du chef est très impressionnante.
Deuxièmement, décider suppose une intention, un projet ou un objectif. L’un des grands problèmes dans nos démocraties, et je pense en particulier à la France, mais pas seulement, est qu’on décide sans avoir identifié clairement un objectif. Décider, oui, mais pour aller où ? Quel est l’objectif final ? Pour paraphraser le Petit Prince de Saint-Exupéry, non pas « dessine-moi un mouton », mais « dessine-moi la France, l’Europe, ou le monde de demain ». Comme président, qu’est-ce que je veux comme société dans les dix ou quinze ans à venir ? Quelle
place vais-je donner à la France ou à l’Europe ? Quel est notre intérêt national ? Avant de se poser en termes d’expertise, la décision se pose dans ces termes.
Troisièmement, le décideur s’affronte à la question de l’expertise, de la science et du savoir. Un décideur doit prendre en compte un certain nombre de données. Les plus simples, ce sont celles liées à l’évolution technologique, comme les nouvelles technologies biomédicales ou Internet. Ensuite apparaissent les nouveaux risques avérés, technologiques, environnementaux, ou médicaux. C’est pourquoi le décideur doit s’appuyer sur les experts.
La première règle que je voudrais poser, fondamentale à mes yeux, et que nous ne disposons pas d’une pluralité suffisante d’experts dans les organismes qui se piquent de faire de la stratégie, et au-delà, une pluralité de voix et de représentations. Bien souvent, on réunit volontairement des gens opposés par principe, non des voix, non des personnes qui défense des positions de principe. Dans en matière de stratégie internationale, par exemple, des groupes d’experts de tous horizons placés auprès du Président de la République et du Premier ministre, ne sont pas régulièrement consultés sur les grandes questions internationales, qui les aideraient à bâtir une stratégie. Dans de nombreux d’autres domaines, il en va bien souvent de même. Il faudrait séparer – ce qui, j’en conviens, n’est pas très facile – la discussion entre les experts de celle du pluralisme des points de vue. Comment éviter l’expression de points de vue idéologique au profit d’une parole plus fondée ? Qui va discriminer ?