En cette période de crise sanitaire, ou la science et la décision sont au cœur des débats et de l’actualité, l’IHEST vous propose une chronique sur ces sujets, reprenant des analyses et conférences de chercheurs et experts mises en débat auprès de publics de décideurs ayant suivis nos formations.
Qu’est-ce que l’expertise ? Dans ce deuxième extrait, le juriste Olivier Leclerc, directeur de recherche au CNRS, résume ses principales caractéristiques en trois points.
Trois critères permettent de délimiter la qualification d’expert.
Le premier consiste à délivrer des connaissances à des fins de prise de décision, qu’elle soit de justice, administrative ou privée. Par conséquent, le fait de formuler des énoncés, de proposer des connaissances sans perspective d’une décision ne permet pas de qualifier l’expert sous l’angle du régime juridique applicable. Dit autrement, toutes les personnes possédant une compétence ou une expérience sur un sujet donné ne peuvent être qualifiées d’experts.
Le deuxième est l’existence d’une commande. Ce second critère permet de restreindre la qualité d’expert à ceux qui ont été désignés à cette fin, et exclut du même coup les experts autoproclamés, ceux qui se déclarent experts sans avoir été sollicités.
Cela ne signifie bien évidemment pas que ceux qui proposeraient des connaissances sans avoir été sollicités auraient une opinion sans valeur. Mais du point de vue juridique, les conséquences sont sans commune mesure. J’ajoute que cette commande n’est pas forcément le fait d’une administration publique : elle peut provenir d’une association, notamment militante.
L’existence d’une commande a notamment trois conséquences.
D’abord, la commande d’expertise s’accompagne d’une mission, qui délimite l’intervention de l’expert. L’expertise a un commanditaire, qui fixe les contours de la mission, ce pourquoi il faut être particulièrement attentif à la façon dont celle-ci est formulée.
Ensuite, la mission donne une importance toute particulière à la compétence. Ce qui est attendu de l’expert, c’est qu’il soit compétent dans l’exercice de sa mission. S’il se révèle incompétent, cela ne prive absolument pas son intervention de la qualification d’expert. J’ajoute qu’une mission d’expertise est toujours requise pour une mission donnée, dans un contexte donné. Cette précision permet de distinguer l’expertise de commandes qui portent sur des connaissances en général, non rapportées à une décision à prendre.
Enfin, la commande fait naître un lien de droit entre le commanditaire et l’expert, alors qu’une personne qui proposerait des connaissances de manière spontanée n’est en aucun cas liée par un lien juridique avec un commanditaire. La présence d’un lien de droit a des conséquences extrêmement importantes.
Bref, l’existence d’une commande est déterminante pour la mise en œuvre de toute une série de dispositions juridiques.
Le troisième et dernier critère visant à délimiter l’expertise est celui de l’existence d’une procédure. L’expertise se déroule selon une procédure, c’est-à-dire un certain nombre de règles précisant les conditions dans lesquelles la mission doit être accomplie, la forme que doit prendre l’avis, et la portée, le cas échéant, de l’avis qui sera rendu.
Ces trois critères ne servent pas à dire ce qu’est vraiment une expertise, mais à dire ce qui, du point de vue de l’application d’un certain régime juridique, permet de faire le partage entre les situations dans lesquelles les règles de droit applicables à l’expertise vont pouvoir entrer en jeu et celles où elles vont rester à côté.
(A suivre)