En cette période de crise sanitaire, ou la science et la décision sont au cœur des débats et de l’actualité, l’IHEST vous propose une chronique sur ces sujets, reprenant des analyses et conférences de chercheurs et experts mises en débat auprès de publics de décideurs ayant suivis nos formations.
Cette courte intervention de Pierre Musso sur Auguste Comte fait suite à une première sur Saint Simon. Tout juste polytechnicien, Auguste Comte fut son secrétaire à 19 ans et le restera pendant sept ans jusqu’en 1824. Il co-rédigera avec lui plusieurs ouvrages dont « L’Industrie et L’Organisateur ». Surtout connu pour sa philosophie des sciences, beaucoup moins sur sa philosophie morale et politique, et sa philosophie de l’histoire. Pour Comte, cette philosophe des sciences n’est pourtant qu’un préalable, la démarche scientifique devant servir de modèle pour la politique.
Auguste Comte: la politique définie par la science
Pierre Musso
Toute la philosophie de Comte est construite autour de la relation entre science et politique. Elle pose les fondements d’une politique de la science, reposant sur une réforme de la politique par la science. Il s’agit non d’une politique scientifique, mais d’une politique définie par la science, faite au nom de la science. C’est d’ailleurs pourquoi elle doit se substituer à la religion.
Dans cette perspective, la politique doit donc être repensée de manière radicale. La révolution scientifique et industrielle oblige à réviser le champ du politique. Il faut préciser que, pour Comte, la science n’est pas la somme des savoirs : elle désigne un rapport global de l’homme au monde. Bien qu’il parle de « politique positive », la pensée de Comte n’est ni empiriste ou positiviste, et encore moins technocratique. Son épistémologie est aussi une histoire des sciences, lesquelles doivent combiner le raisonnement, l’imagination, les concepts et l’observation.
Pour Auguste Comte, les sciences n’ont pas vocation à être appliquées. La finalité de la science est la connaissance, et non ses effets techniques. « Les idées, dira Auguste Comte, mènent le monde ». Comme Saint-Simon, il maintient une séparation absolue entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Economie, sciences et techniques – qui sont à l’époque actuelle – doivent être tenues à distance. Pour Comte, le savant n’est qu’un modeste travailleur qui n’a aucun pouvoir, ni politique ni industriel. Sa seule obligation sociale est de vulgariser, de conseiller et d’enseigner. Comme chez Saint-Simon, il ne doit y avoir aucune confusion entre le scientifique et le politique, sous peine que le scientifique – donc la société – perde sa liberté. La recherche scientifique fait partie du pouvoir spirituel : à ce titre, elle doit demeurer libre, hors de toute entrave ou de toute prescription. Les savants cherchent à connaître : c’est pour cela qu’ils doivent demeurer indépendants.
Lorsqu’il crée le terme « sociologie » – idée déjà présente chez Saint-Simon, Comte lui donne une signification particulière. Il désigne la valeur humaine et collective de la science, c’est-à-dire une morale et un imaginaire constitutifs de la communauté des savants. C’est une telle vision du monde qui doit s’appliquer à la politique. Le mode de fonctionnement de la communauté scientifique, le jugement des pairs, doit devenir le référent du politique.